À lire la presse depuis le 19 juin, la réforme essentielle de la loi Santé proposée par Marisol Touraine est le tiers payant. Un tiers payant qui fait débat depuis longtemps. Ce n'est cependant pas le cas chez les patients qui se prononcent majoritairement pour (à 54 % selon un sondage du Parisien du 21 juin, contre 34 % d'opposés), mais plutôt chez les médecins qui se disent majoritairement contre, en particulier dans les rangs des spécialistes.

Consumérisme, fonctionnarisation, caporalisation, dogmatisme, étatisation etc… Les réticences et objections sont nombreuses. Et pourtant comme le souligne un rapport de l’IGAS paru en 2013, le tiers payant concerne déjà plus de 14 % des actes de généralistes, plus de 20 % des actes cliniques de spécialistes, et plus de 42 % des actes techniques de spécialistes en secteur 1, mais aussi 13 % des actes cliniques et 24 % des actes techniques en secteur 2. Il atteint même les 50 % pour les patients en ALD!!

L'Europe le pratique largement

Autour de nous, 24 des 28 pays européens pratiquent un tiers payant intégral. Et pourtant leurs dépenses de santé n’ont pas explosé. Les revenus des médecins de ces pays de l'Union sont par ailleurs bien supérieurs aux nôtres.
La surconsommation dont parlent certains n’existe pas. Aucune étude ne la démontre. Le CREDES souligne dans une étude publiée en 2000 (1) sur la question qu'on "ne peut donc vraiment parler d’un effet inflationniste (qui augmenterait tous les coûts de soins chez tous les assurés), mais plutôt d’un rattrapage par les pauvres du volume de soins que consommaient déjà les ménages non concernés par la contrainte de liquidité." Le Collectif interassociatif sur la santé (Ciss) qui rassemble les associations de patients, souligne de son côté que "généraliser le tiers payant va effectivement entraîner une consommation de soins, mais de soins utiles et non pas une surconsommation". Pour Didier Tabuteau, responsable de la chaire santé de Sciences Po, le tiers payant constitue " un changement qui peut avoir des effets de restructuration très importants. En­traîner un autre type de rapport entre l'hôpital et la médecine de ville. Et donner une visibilité nouvelle aux dépassements d'honoraires" (Libération du 24 juin)

Facile, simple et garanti

Sur un plan plus social, en  2008, 15 % des patients ont renoncé aux soins pour raisons financières d’après l’IRDES. Et ce malgré l’existence de la CMU, de l’AME. Il y a fort à parier que les choses ne se sont pas arrangées aujourd’hui.
Les craintes des médecins ne sont donc pas liées à une pratique déjà répandue ou à une fonctionnarisation fantasmée, mais simplement aux risques de complications administratives, ou de défaut de paiement du fait d’une complexité administrative redoutée. L’IGAS ne dit pas autre chose dans son rapport.

Pour avoir une chance d’aboutir, le tiers payant devra être facile, simple et garanti.
Il appartient à la CNAM et aux organismes complémentaires de s’entendre pour que les médecins n’aient aucune démarche administrative supplémentaire à faire. C'est également aux responsables politiques en charge des affaires sanitaires d’imposer leur volonté aux administratifs. Les médecins ne supporteront pas de porter le poids d’une réforme qu’ils ont déjà intégré à leur pratique.

J-C Calmes (34)

(1) "le tiers-payant est-il inflationniste ? Etude de l'influence du recours au tiers-payant sur la dépense de santé", Paul Dourgnon et Michel Grignon, CREDES, avril 2000.