Claude Leicher (président de MG France) :
"Il faut des augmentations d’honoraires et des moyens pour les médecins généralistes et les soins primaires en équipe."

Après la présentation, jeudi 19 juin, par Marisol Touraine, ministre de la Santé, des orientations du projet de loi santé qui sera débattu au Parlement à compter de la rentrée prochaine, le président de MG France analyse ce texte et souligne les attentes du syndicat des généralistes pour l’avenir.

Quelle est votre appréciation générale du projet de loi qui a été présenté le 19 juin par la ministre de la Santé ?

Claude LeicherClaude Leicher : Il y a beaucoup d’inquiétude chez les médecins sur les moyens, et les conditions techniques de mise en place d’un certain nombre de mesures comme le tiers payant. Il y a des interrogations sur l’investissement financier qui n’est ni annoncé ni chiffré, ni même programmé. Pourtant, comme pour l’hôpital, il faudra des moyens pour développer les soins primaires.

Quel est le point qui vous satisfait dans ce projet de loi ?

Enfin la France rejoint l’ensemble des autres pays, et confirme la priorité qui doit être donnée aux soins de proximité: Marisol Touraine confirme donc le virage français vers les soins primaires. Ce sera une satisfaction pour notre pays, si les décisions suivent. Car la situation de la filière universitaire de médecine générale nous rend très méfiants : 10 ans après sa création, elle n’a toujours pas les moyens nécessaires à son fonctionnement. Les discours sans les moyens, nous connaissons donc cela très bien.
Dès la préparation du Projet de loi de financement pour la Sécurité sociale (PLFSS) de 2015, verrons nous apparaitre des priorités financières pour l’organisation des soins primaires ? Il faut un plan d’investissement, comme cela a été fait avec les « plans pour l’hôpital » dotés de plusieurs dizaines de milliards d’euros. Le secteur ambulatoire a besoin d’environ 3 milliards d’euros sur plusieurs années pour investir et organiser les soins primaires autour du médecin traitant. Si les fonds ne sont pas dégagés, nous resterons toujours dans le discours sans les moyens.

Cet investissement doit-il se traduire dans la loi ? Dans la convention signée avec l’assurance-maladie ?

Une fois le PLFSS 2015 voté, la convention médicale devra mettre en œuvre de façon prioritaire des moyens de travail pour les médecins généralistes, à commencer par une rémunération correcte de toutes nos taches dont une partie sont faites bénévolement. Notre rémunération par rapport à notre temps de travail est très nettement inférieure aux autres professions médicales, ce qui détourne les jeunes médecins de l’exercice de la médecine générale.
Il doit y avoir aussi dans le PLFSS des moyens pour l’organisation du travail en équipe avec les autres professionnels des soins primaires. Cet investissement doit être fléché dans l’Objectif national de dépenses d’assurance-maladie (ONDAM). Il faut absolument un mécanisme qui, dans la loi, permette de protéger cet objectif, par une décision politique du gouvernement, approuvée par le Parlement et mis en œuvre par la convention.

Le texte du projet de loi met l’accent sur la prévention. La ministre a notamment évoqué le diabète, la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme chez les jeunes, la nutrition etc. Elle a confirmé que les enfants auront leur médecin traitant pour agir sur ces registres. Etes-vous satisfait ?

Il s’agit de sujets très importants qui n’ont jamais été abordés dans le champ conventionnel. Les deux principaux problèmes de santé publique en France sont le tabac et l’alcool. Nous proposons d’ajouter des indicateurs de santé publique concernant ces deux sujets dans le cadre de la rémunération sur objectifs, de façon à aider les médecins à mettre en œuvre des stratégies de repérage et d’intervention brève qui sont reconnues comme efficaces.

Nous voulons aussi, autour de la notion de médecin traitant de l’enfant librement choisi par les parents, un plan d’investissement sur l’amélioration des indicateurs de santé des enfants, un « plan de santé enfant » autour du médecin traitant, associant généralistes et pédiatres. Quelques exemples: l’obésité de l’enfant, la couverture vaccinale, l’aide à la parentalité.

L’annonce d’un service territorial de santé vous parait-elle une réponse adaptée aux inquiétudes et aux attentes des généralistes ?

Garantir l’accès des soins à tous prend la forme, dans le plan santé proposé par la ministre, d’un service territorial. Attention, ce peut être la meilleure ou la pire des choses ! Selon que ce sont les acteurs des soins primaires qui prennent la responsabilité d’organiser eux mêmes ces territoires. Ou que l’on crée une « administration des soins de ville » !

Nous sommes ici à un moment crucial: pour MG France, ce sont les professionnels de santé de proximité qui doivent s’organiser sur leurs territoires, selon les besoins de santé de leurs patients. A eux ensuite de faire des propositions aux Agences régionales de santé dans le cadre négocié par les partenaires conventionnels pour permettre que cette organisation soit à l’initiative et sous la responsabilité des professionnels de proximité.
A défaut, l’Etat  organisera une « administration de la proximité ». Ce dont MG France ne veut en aucun cas ! Il y a là un danger majeur que nous anticipons à MG France depuis plusieurs années.

C’est la raison pour laquelle nous proposons pour le travail en équipe de mettre en place trois niveaux d’organisation : autour du patient,  autour de nos patientèles médecin traitant, mais aussi au niveau territorial avec l’ensemble des professionnels de santé de proximité. Il faut absolument occuper ce niveau d’organisation et en revendiquer la gestion par les acteurs eux mêmes.

La ministre a mentionné l’évolution progressive et négociée des modes de rémunération des professionnels. Qu’attendez vous sur ce registre ?

Ce n’est pas un chapitre nouveau pour nous, ni pour la convention qui l’a mis en œuvre sur proposition de MG France depuis 1997 ! Dans un contexte de blocage de l’acte du généraliste à 23 €, blocage lié à l’avenant 19 de la convention CSMF SML qui nous prive depuis 2007 de la consultation à 25 €, nos rémunérations se sont un peu améliorées uniquement grâce aux forfaits qui constituent 12% de nos recettes. Mais il faut aussi que nos tâches quotidiennes de coordination, de rédaction de courriers, de contacts avec les autres professionnels, soient progressivement identifiées et rémunérées. Il ne s’agit pas de donner plus de travail aux médecins généralistes, mais de faire reconnaitre et rémunérer ce travail « invisible ».

Il est aussi question d’un encouragement sur la rémunération du travail en équipe ?

C’est un aspect très important. Il nous faut un forfait structure pour travailler en groupe, ou avec d’autres professions. Il faut valoriser aussi le travail de coordination qui est fait autour de chaque patient, entre le médecin traitant, une infirmière, un kiné, un pharmacien, et d’autres professionnels. Ce travail doit être identifié et rémunéré. Ceux qui travaillent en maison de santé, en équipes organisées, connaissent tout cela, mais ce n’est pas un modèle unique. Il faut pouvoir se coordonner aussi en restant chacun dans son cabinet.

Le travail d’organisation sur chaque territoire, par exemple pour nos relations avec l’hôpital ne peut pas se faire individuellement entre chaque médecin et l’ensemble de l’hôpital. Il faut que des professionnels de ville s’impliquent dans cette structuration ville-hôpital, et soient rémunérés pour cela. L’exemple de la régulation des appels d’urgence, montre que pour garder notre indépendance, il faut s’organiser collectivement entre libéraux. Il nous faut donc des moyens pour ce travail en équipe.

Autre point évoqué dans le projet de loi : la rénovation du dispositif conventionnel et « sa nécessaire adaptation régionale et territoriale ». Qu’en attendez-vous ?

C’est un fait historique qu’il faut saisir. MG France veut conserver un étage conventionnel qui garantit les mêmes droits et les mêmes devoirs sur tout le territoire. Mais si on veut que les libéraux organisent leur travail sur chacun de leurs territoires, il faut aussi  un étage territorial. Qu’un médecin puisse décrire la façon dont il travaille avec les infirmières, les kinés, etc, dans son cabinet ou juste à côté de son cabinet, c’est le niveau d’organisation où nous devons être à la fois les acteurs mais aussi les organisateurs. Autrement dit, si nous ne voulons pas voir débarquer une administration de la santé en ambulatoire, nous devons nous organiser nous-mêmes et avoir les moyens financiers de le faire.

Cela suppose-t-il des enveloppes régionales spécifiques ?

Cela suppose un fléchage des moyens vers le territoire de proximité: il faut pouvoir construire un projet et avoir un financement de façon simple. La plupart des pays libéraux modernes s’orientent vers cela : on confie directement à des médecins généralistes des enveloppes financières qui leur permettent de s’organiser et d’offrir des services. Par exemple en embauchant du personnel dans les cabinets médicaux, pour que le médecin puisse se concentrer sur sa tâche de soins, et qu’il ait autour de lui un environnement qui facilite ses relations avec l’hôpital, etc. Ce sont des fonctions supports qui n’existent pas aujourd’hui pour les médecins généralistes.

Leicher-Claude-Loi-SanteQue dites-vous en conclusion aux généralistes qui s’inquiètent et écoutent volontiers les Cassandre ?

Etre médecin libéral et ne pas accepter l’idée que notre métier doit évoluer sous l’impulsion des acteurs eux-mêmes, c’est récuser son caractère libéral. L’exercice de proximité doit s’organiser lui-même. Nous revendiquons pour les médecins généralistes  la liberté de créer eux-mêmes les outils dont ils ont besoin. Contractualiser sur chaque territoire pour organiser nous même notre exercice de proximité, c’est une liberté pour exercer, mais aussi pour entreprendre et innover. Si on récuse cette liberté, il ne faut pas se réclamer d’un exercice libéral. Cette évolution de nos métiers est le gage de leur pérennité. Cette modernisation est nécessaire si on veut conserver le statut de médecine générale libérale.

Paris, le 21 juin 2014