Un nombre croissant d'élus s'inquiètent de voir leur campagne ou leur quartier déserté par les médecins généralistes ou peinent à trouver le ou les successeurs à ceux qui partent. Certains s'en sont même émus jusqu'à faire des déclarations publiques pour le moins accusatrices à l'encontre de "ces jeunes qui ne veulent plus s'installer et qui voudraient le beurre et l'argent du beurre".
Tel a été le cas du président du Conseil Général de Haute-Loire qui s'exprimait dans un journal local en octobre dernier en dénonçant l'attitude des jeunes générations de médecins qui veulent "vivre comme des fonctionnaires", et en particulier les femmes qui, une fois formées, "n'exerceront jamais". Les futures élections municipales vont immanquablement relancer ce type d'accusation qui masque de vraies inquiétudes. De son côté, la ministre de la Santé vient de confirmer que le dispositif des "praticiens territoriaux de médecine générale" (PTMG) sera renforcé en 2014.
Des élus de la république attaquent les jeunes médecins généralistes (et les plus anciens), qui ne seraient plus assez dévoués et refuseraient de s’installer dans leurs campagnes (ou leur quartiers), stigmatisés comme de véritables déserteurs ! Ces élus de la République émargent à 17 000 euros par mois (cumul des mandats-revenu plafonné). Ils gagnent trois fois ce que gagne un MG. Font-ils si bien leur travail, ces élus de la République ? Leurs circonscriptions sont-elles bien gérées, attractives, équipées et sûres comme elles le devraient ? Le système de santé y est-il organisé, bien adapté aux besoins de la population ? Je crois qu’à ces trois questions on peut, hélas, souvent répondre par la négative. Cela devrait rendre ces élus un peu modestes. Ils devraient comprendre que les jeunes ne seront pas attirés, mais bien repoussés par les contraintes qu’ils réclament. Je ne sais pas si les jeunes docteurs désertent les mercredis, les soirées, les week-ends. Mais je sais que mon vieux prédécesseur voyait 40 malades par jour, cinq jours et demi sur sept et gagnait de quoi élever cinq enfants, divorcer deux fois, avoir trois maisons et un anneau dans le port de Sète. J’ai fait la même chose il y a vingt ans, quand j’ai « enfilé ses bottes », j’ai vu 40 malades par jour. J’ai gagné des sous…Et j’ai vite cessé de faire cette médecine là ! Non pas que cette médecine rapide était désagréable. C’était sympa et je me sentais fort. Cela m’a mis la puce à l’oreille.
Le généraliste, un poly-pathologiste pour cas compliqués
Et puis je crois que ce n’est pas comme cela que l’on fait du bon travail. Du moins dans mon secteur, où il n’y a pas encore pénurie de docteurs. Par exemple, j’ai maintenant un taux d’ALD presque double de celui mes confrères de la région ! Je suis un généraliste poly-pathologiste. Un de ceux à qui on envoie les malades quand ils commencent à être compliqués à gérer. Celui que les jeunes générations quittent, car ils n’ont pas rendez-vous assez vite pour leurs rhumes. Mais qui suture encore sa voisine quand elle se coupe en cuisinant. Je me souviens d’une pauvre vieille qui cumulait tous les handicaps sociaux et culturels, du diabète, un cancer thyroïdien, un angor. Elle est arrivée devant moi, a posé son dossier sur mon bureau, elle m’a dit : "Mon Docteur me trouve trop compliquée à soigner, est-ce que vous soignez les cas compliqués ? »
Et je me suis mis à faire plus attention aux cas compliqués, à les envoyer moins aux spécialistes d’organes, à prendre plus soin d’eux. C’est une des raisons qui m’a conduit vers le syndicalisme. Je crois que je ne suis pas le seul. Nombreux sont les généralistes qui refusent de faire « de l’abattage ». Je crois que c’est normal, la fonction du généraliste a changé. Les élus de la République me semblent longs à le comprendre. Ils n’ont pas envie de valoriser cette fonction nouvelle. Ils en sont restés au « rhumologue » qui multiplie les actes, qu’on paie à l’acte et qui est bien assez payé pour ce travail mineur qu’il fait. C'est du moins ce qu'ils pensent. Nous demandons cette valorisation de nos activités, parce que nous, nous savons que nous faisons un travail complexe de gestion de malades lourds, que c’est dur et pas assez reconnu ni valorisé.
Non, le MG n’est pas la variable d’ajustement de l’aménagement du territoire. D’où ma franche divergence de vue avec ces élus territoriaux, dont je trouve souvent l’analyse trop courte et parfois très violente. Une sorte de dialogue de sourds. Nous ne parlons pas de la même médecine générale. Ils devraient se mettre à l'écoute des médecins généralistes de proximité.
J-C Nogrette