Les médecins généralistes, en grève le samedi matin

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Lettre aux généralistes
 
Le 15 n’est pas l’accès aux soins !
(et les Urgences ne sont pas le système de Santé)...
 
Les médecins généralistes sont en grève les samedis matins pour signaler leurs horaires extensifs, facteurs de désaffection des jeunes diplômés pour ce métier.
Mais le problème est encore plus grave et profond... Ils n'ont plus tellement confiance en la parole des responsables publics.
 
En effet quelle volte-face ! Nous pensions pourtant être entrés dans une ère nouvelle. Ayant pris conscience de l’inadaptation du système hospitalo-universitaire à la prise en charge des maladies chroniques, du vieillissement de la population et au défi du maintien à domicile, les responsables de la santé en France avaient ces dernières années multiplié les annonces d’un grand changement : « stratégie nationale de santé », « virage ambulatoire », « révolution du premier recours » puis « de la prévention »… Plus impressionnant encore, le Président de la République avait axé l’essentiel de son discours sur la Santé du 18 septembre 2018 sur le recours au nouveau dispositif des Communautés Professionnelles Territoriales de Santé (CPTS) et au sein de celles-ci avait appelé à une mutation de la Médecine Générale vers un exercice plus coordonné et une responsabilité populationnelle.
 
Nous sommes nombreux, médecins généralistes et autres professionnels de santé de ville et de campagne, en relation avec des partenaires hospitaliers, sociaux et médico-sociaux ayant compris le sens de cette démarche, à nous être mis au travail, créant ici des Maisons Médicales de Garde (organisant une redirection pertinente et concertée avec les services d’Urgences), là des Equipes de Soins Primaires, des Maisons de Santé Pluriprofessionnelles (MSP), et enfin 450 projets de CPTS à ce jour en France.
 
L’accord conventionnel conclu avec l’Assurance Maladie nous avait fixé la mission d’organiser l’accès aux soins, notamment la facilitation de l’accès à un médecin traitant, et même la réponse aux demandes de soins non-programmés, avec notamment des objectifs en termes de diminution des passages aux Urgences. C’était ambitieux. Et pourtant nous avions dit « banco » car nous pensions que c’était effectivement le rôle normal des soins de ville d’assurer la majeure partie de la réponse à ces demandes de soins.
 
Il faut savoir que 80% des recours aux services dits d’Urgences sont classés « CCMU1 » et « CCMU2 », ce qui signifie que les situations cliniques présentées sont stables, non-urgentes et ne nécessitant pas réellement le passage par un service hospitalier doté d’un tel plateau technique (avec un coût moyen de 167€ à 229 € selon les estimations). Ces mêmes prises en charges auraient pu être assurées de manière plus efficiente, plus adaptée et moins chère grâce à une consultation de Médecine Générale. Il est faux de prétendre que cela ne serait pas possible à cause de la surcharge de travail de la plupart des médecins généralistes : il a été calculé que si l’on divise l’ensemble de ces recours inappropriés aux Urgences par le nombre de médecins généralistes, cela représente moins d'une consultation par jour et par médecin. C’est donc avant tout une question d’organisation : cela nécessite une régulation médicale de jour, comme il y a en a une la nuit et le week-end grâce à des médecins généralistes impliqués, avec le budget ad hoc, tout comme il faut logiquement accorder un bonus aux médecins effecteurs qui accepteraient d’être réactifs pour recevoir des patients supplémentaires dans une logique de responsabilité populationnelle. 
 
Et puis patatras…!
Justifié par des conditions de travail pénibles, exacerbées par le dévoiement du recours aux Urgences, un mouvement de grève et de protestation dans les services hospitaliers s’est développé à partir de l’été 2019, menant la ministre de la Santé à faire des annonces allant crescendo dans le sens de redonner plus de moyens aux Urgences et de façon plus générale aux Hôpitaux, cette surenchère culminant avec un plan de 1,5 milliards de budget supplémentaire sur 3 ans, associé à 10 milliards de reprise de dette des Hôpitaux.    
 
Sous la pression de ces revendications, Agnès Buzyn avait aussi présenté le 9 septembre 2019 un « pacte de refondation des Urgences », annonçant la création du « SAS » (service universel d’accès aux soins), par téléphone et en ligne, qui pourrait fournir « un conseil, une téléconsultation, ou orientation vers une structure, qu’elle soit hospitalière ou libérale, selon son état vers une consultation sans rendez-vous ou un service d’Urgences ». Et alors que déjà deux tiers des appels aux numéros de régulation médicale (15, 116-117 ou 3966 selon les régions) concernent la permanence des soins ambulatoires (PDSA) relevant des médecins libéraux et non des urgentistes, la ministre a malheureusement confié la conception du SAS à deux urgentistes, le Pr Pierre Carli et le Dr Thomas Mesnier, dont le rapport va sans surprise vers une extrapolation du système opérationnel du 15 à la prise en charge de tout problème de santé via un nouveau numéro qui serait le 113.
 
Ce parti pris d’enterrer mort-né le 116-117 (pourtant numéro européen et déjà opérationnel dans 3 régions françaises) au profit d’un numéro construit sur la base d’un modèle de gestion à court terme de la pathologie aiguë, montre bien l’ignorance de ce que les médecins généralistes et les équipes de soins primaires font dans le quotidien des patients, et ce qu’ils pourraient faire encore mieux demain avec les ressources des CPTS, notamment dans le domaine de la coordination des soins, du médico-social et du social. 
 
Espérons un sursaut des décideurs, une fois un peu de recul pris par rapport à l’actualité et à ses effets de loupe. Pour mémoire, quand il y a 21 millions de passage par an dans les services d’Urgences, près de 300 millions de consultations ou visites sont effectuées par les médecins généralistes sur le territoire. Au moment de continuer la refondation de notre système de soins, il ne faudrait pas que l’arbre cache la forêt !   
 
Loin de grandes manœuvres nationales, nombreux sont ceux qui l’ont compris sur les territoires. A cet égard, la construction des Communautés Professionnelles Territoriales de Santé, fédérant tous les professionnels de santé de terrain, en lien avec les acteurs du social et du médico-social, en dialogue de proximité avec les directeurs et les médecins hospitaliers dans un esprit de complémentarité respectueuse, semble notre dernier espoir d’éviter l’ubérisation de la Santé. 
 
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