N’avez-vous jamais reçu dans votre cabinet cette patiente, caissière de supermarché, mère célibataire, à temps plus que partiel, qui venait vous voir épuisée mais refusant catégoriquement votre arrêt de travail ? « Docteur, je ne peux pas me permettre de m’arrêter».
N’avez- vous jamais reçu dans votre cabinet ce patient, travailleur du BTP cinquantenaire, aux épaules usées, en arrêt de travail depuis des mois car dans l’impossibilité de reprendre ? « Docteur, je ne peux pas retourner à l’école à mon âge ».
N’avez-vous jamais reçu ce cadre administratif d’une grande entreprise en arrêt de travail, suite à un épuisement professionnel, face à son instinct de préservation, se battre ou fuir ? « Docteur, je ne peux pas y retourner mais le chômage, est-ce la solution ? ».
Nous devenons leur dernier, leur seul point d’ancrage.
Seul réceptacle de cette souffrance psychosociale, c’est nous, maintenant, qui sommes menacés de burn-out. Nous devons gérer une nouvelle pénibilité structurelle et financière sans avoir plus de moyens. Elle ne devrait pas nous incomber. Et pourtant, elle nous est même opposée.
Combien d’entre nous ont été contrôlés sur le volume de leurs prescriptions d’IJ ? Combien d’entre nous ont entendu « Vous n’avez qu’à mettre en place une invalidité » ? Combien d’entre nous ont entendu « ça ne relève pas de l’Assurance Maladie, vous n’avez qu’à lancer un licenciement pour inaptitude » ?
Mais, ils oublient que nous n’avons pas le droit d’aller contre l’intérêt de nos patients.
Et pourquoi ne serait-ce pas à eux de prendre leurs responsabilités ?
Notre système de protection sociale est devenu défaillant. Il est dépassé par la réalité de notre société qui a changé. Le régime de protection qui avait été conçu pour un homme salarié qui allait vivre toute sa vie professionnelle dans la même entreprise est caduque.
Dans l'ouvrage « Refonder le système de protection sociale, Pour une nouvelle génération de droits sociaux », ses auteurs nous offrent des perspectives d’avenir avec un système que l’on pourrait qualifier de renouvellement solidaire.
Dans leur livre, ils inventent un système original qui prendrait en compte la nouvelle démographie du travail (l’émancipation des femmes dans notre société, la féminisation, les temps partiels, l’instabilité des parcours). En proposant des mesures qui couvriraient l’individu de la petite enfance au 4ème âge, ils espèrent créer un cercle vertueux qui permettrait une amélioration des parcours, une diminution des inégalités sociales et des inégalités des sexes, avec comme finalité un retour à l’équilibre des caisses. Il est impossible de donner des exemples car ce livre est un ensemble cohérent. Je ne peux que vous inviter à le lire.
Madame la Ministre de la Santé et des Solidarités, Monsieur le Premier Ministre, si vous voulez vraiment nous aider dans cette mission du soin équitable pour tous, il n’y a pas que la lutte contre les déserts médicaux, le tiers-payant, la gestion de la demande de soins non programmée pour améliorer la santé de la population française. Il y a surtout un système à repenser car notre système n’a plus rien de solidaire. Nous risquons beaucoup, patients comme professionnels de santé ambulatoires et hospitaliers.
Référence : « REFONDER LE SYSTEME DE PROTECTION SOCIALE, Pour une nouvelle génération de droits sociaux » Bernard GAZIER, Bruno PALIER, Hélène PERIVIER, SciencesPo. Les Presses.
