La Sécu cherche ses gisements d'économies

Pour répondre à la commande gouvernementale - trouver 10 milliards d'euros d'économie dans le champ de la santé -, la caisse nationale d'assurance maladie vient de sortir un nouveau "plan" - un de plus - qui détaille différentes pistes (1) pour réduire les coûts afférant à un certain nombre de pathologies.

Il faudra à l'avenir faire autant, sinon plus, avec moins de moyens. Les dépenses de santé remboursées aux assurés français croissent "naturellement" chaque année de quelque 3,8 à 4,2 %. En 2012, nous rappelle la CNAM, les dépenses totales de santé se sont élevées à 243 milliards d’euros, et l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM) a été fixé par le Parlement à 170 milliards d’euros (2). Pour les trois prochaines années, le taux de croissance de l’ONDAM devra progressivement baisser (2,1% en 2015, 2% en 2016 et 1,9% en 2017) pour permettre de trouver les 10 milliards d'économies attendues dans la santé par le gouvernement sur le total de 50 milliards recherchés à ce titre sur l'ensemble des dépenses publiques. Ce qui, souligne toujours la CNAM, "suppose un effort supplémentaire par rapport à celui qui a été fait sur les dernières années". Un effort qui devra même être très significatif si l'on sait que chaque présentation au Parlement du Projet de loi sur la Sécu de l'année suivante est généralement précédée de l'annonce d'un plan d'économies de l'ordre de 2,5 à 3 milliards d'euros. Un exercice qui fait, pour ainsi dire, figure de style, et qui impacte généralement assez fortement les industries des produits de santé, dont le médicament (3,5 milliards d'euros d'économies sont recherchés sur les trois prochaines années, auxquels s’ajouteront les mesures de maîtrise médicalisée).

Rationnaliser les parcours de soins

"Le pari est de mobiliser ces économies en rationalisant les parcours de soins, explique la CNAM : il s’agit d’éviter des examens ou traitements non pertinents, de favoriser les prises en charges les moins onéreuses à qualité égale, de substituer des interventions en ambulatoire à des hospitalisations lorsque c’est possible, de tirer parti des évolutions technologiques pour soigner mieux à moindre coût." Un programme ambitieux qui est assorti de mesures précises visant à réduire les coûts ici et là, sans réduire la qualité des soins. En un mot et selon une formule dont les grand commis de l'état ont le secret, il s'agit de "prendre la mesure des gains de productivité à réaliser pour faire face à l’accroissement des besoins dans un cadre financier contraint." Vaste programme.

Pour parvenir à son objectif, la caisse nationale entend trouver ses gisements dans le champ de l'ONDAM, qui accordait une enveloppe de 170,1 milliards d'euros en 2012. Sur cette dernière somme, les économies recherchées portent sur une enveloppe globale de 146 milliards, qui rassemble une somme de dépenses par groupe de pathologies et traitements dans lesquelles il faudra tailler (voir ci-dessous), entendu, selon un mot à la mode, "optimiser les dépenses".

A ces groupes de pathologies, la CNAM superpose des effectifs de personnes prises en charge pour mesurer le poids des différentes situations de soins en termes de dépenses et d’effectifs. Elle cible ainsi les 21% de patients ayant des pathologies chroniques (ayant donné lieu à hospitalisation ou ALD), qui représentent 50% de la dépense totale et "les personnes soignés pour une pathologie chronique ou ayant eu une maternité ou une hospitalisation ponctuelle, qui représentent 31% de la population et près de 80% de la dépense totale." Elle analyse que les malades chroniques représentent une population de 12,6 millions de personnes, soit 21,3 % de la population, qui coûte, tous régimes confondus, 73,9 milliards d'euros. Si l'on ajoute les malades sous traitement médicamenteux régulier (9 millions de personnes), hors pathologie chronique, le nombre de personnes concernées passe à 21,6 millions (soit 36,5 % de la population) pour un coût global de 89,4 milliards d'euros (soit 61,3 % de la dépense totale). Enfin, en additionnant à ces chiffres les soins délivrés au titre de la maternité à 1,4 million de femmes, plus ceux dispensés en hospitalisation ponctuelle à quelque 7,8 millions d'individus, on arrive à un total de 131,3 milliards d'euros consacrés à soigner 25,9 millions d'assurés. A ce montant s'ajoutera in fine les soins courants donnés à 33,4 millions de personnes pour un montant de 14,6 milliards d'euros.

En termes marketing, le ciblage de la CNAM est clairement défini. Reste à présent à affiner par type de pathologie, traitement et évènement de santé, pour lesquels l'assurance-maladie définit ses propositions d'économies, également très ciblées dans un certain nombre de domaines, tels que :

- la maternité, avec la réduction des séjours post-accouchement à l’hôpital. La durée moyenne de séjour pour les accouchements par voie basse sans complication est de 4,2 jours en France. En ramenant le taux français à la moyenne de l’OCDE (3 jours), 280 millions pourraient être économisés, sur un total de 9,1 milliards de dépenses et prestations versées en 2012 pour la maternité. Cette diminution suppose toutefois de bénéficier d’un suivi organisé à domicile à la sortie de la maternité. Ainsi, le programme PRADO maternité, expérimenté dans les caisses d'Annecy, de Rennes et de Versailles, devrait en 2014 bénéficier à 210 000 femmes, représentant 37% des accouchements physiologiques.

- la dialyse à domicile des malades atteints d’insuffisance rénale : le traitement par dialyse représente un coût de 2,8 milliards, soit environ 63.000 euros par an et par patient en 2012. En France, la quasi-totalité des patients sont traités dans des centres spécialisés, à raison de quatre heures en moyenne trois fois par semaine. Seuls 6% le sont à domicile, ce qui représente pourtant une économie substantielle en termes de transport par exemple.

- les actes de chirurgie orthopédique, dont les coûts d’hospitalisation représentent à eux seuls 7 milliards d'euros, dont 5,2 Md€ pour les séjours en chirurgie et 1,8 Md€ pour les SSR, pour un total de 1,8 millions d’opérations chirurgicales. A elles seules, les prothèses de genou et de hanche, génèrent un coût total (incluant les soins de ville, les médicaments, les arrêts de travail) estimé à 2,3 Md€.

- Les actes de chirurgie ambulatoire, dont les pratiques sont assez hétérogènes selon les régions et les établissements et dont on espère des taux de développement qui vont de 80 % à 55-60 % selon la FHF. "A l’horizon de 2017, un objectif ambitieux mais réalisable consiste à réduire l’hétérogénéité des pratiques constatée aujourd’hui, en considérant que tous les établissements qui sont en-dessous d’un certain niveau de chirurgie ambulatoire sont en mesure de progresser jusqu’à ce niveau en trois ans", note la CNAM. "Les 5,4 millions de séjours de chirurgie, 10%, soit environ 540 000, pourraient basculer de l’hospitalisation complète à la chirurgie ambulatoire", ajoute l'Assurance-maladie

- les actes d’imagerie (3,7 milliards d’euros en 2013), notamment l’IRM (642 millions). En 2013, le nombre d’IRM pratiquées a augmenté de 9,1% et, dans plus de la moitié des cas, les patients n’ont pas eu de radiographie au préalable. Ce recours excessif à l’IRM, notamment pour les membres inférieurs, s’explique en partie par l’équipement récent des établissements de santé qui veulent rentabiliser leurs investissements.

- le cancer du sein : chaque année en France, 48 800 nouveaux cas de cancer du sein sont diagnostiqués et 12 000 décès par cancer du sein sont observés. Les dépenses d’assurance maladie liées au cancer du sein représentent 2,3 milliards d'euros en 2012, dont 1,3 Mds€ pour le traitement des cancers en phase active. "L’objectif est de détecter précocement les tumeurs au stade préclinique (tumeurs de petite taille, sans envahissement ganglionnaire), ce qui permet des traitements moins lourds et plus efficaces, une amélioration de la qualité de vie et à terme une baisse de la mortalité". Un domaine dans lequel la France "ne semble pas bien placée au plan international". De même, les délais de prise en charge du cancer du sein (23 jours entre le compte rendu anatomopathologique et la chirurgie) devraient être réduits.

- les soins de santé mentale, dispensés à 7,3 millions de personnes pour un total de 22 milliards d’euros. Les pathologies psychiatriques identifiées (hospitalisation, ALD) induisent deux tiers des dépenses remboursées dans le champ de la santé mentale (14,6 milliards d’euros) dont 10 milliards d’euros de soins hospitaliers. "Les données de recours aux soins de l’assurance maladie semblent montrer un usage non optimal des antidépresseurs" et "les pratiques en matière de prescription sont très hétérogènes sur le territoire, le taux d’instauration de traitement variant du simple au double d’un département à l’autre", indique encore la CNAM pour qui "les antidépresseurs ne sont pas toujours prescrits de façon efficiente du fait d’un diagnostic et/ou d’un suivi insuffisant."

Allouer utilement les ressources

Au total, note la CNAM, "il s’agit de promouvoir un juste accès pour tous à des soins de qualité, d’éviter les traitements ou actes inutiles, porteurs de risques pour les patients, et d’allouer les ressources sur des soins qui présentent un réel bénéfice pour la population." Elle invite les professionnels de santé à un "usage judicieux des différentes ressources du système" d'où "peuvent venir les gains d’efficience qui sont nécessaires pour offrir des soins de qualité à tous en maîtrisant la progression des dépenses". La CNAM pose ainsi la question de la pertinence des actes chirurgicaux ou des actes diagnostiques, dont certaines IRM. En particulier, les IRM du membre inférieur prescrites à priori par un médecin généraliste, sur lesquelles elle note en résumé que moins de 24 % des patients ont eu une prise en charge par un spécialiste, 60 % n’ont pas eu de pris en charge spécialisée et 52 % n’ont pas eu de radiographies ! Et de conclure qu'une "réduction de 15% du nombre d’IRM des membres inférieurs pourrait être obtenue sans perte de chance pour les patients".

Selon un exercice désormais bien rodé, la CNAM s'interroge sur la pertinence des actes de laboratoire et celle des 795 millions d’actes de biologie cotés en B qui ont été remboursés en 2012 pour un montant 3,4 milliards d'euros (tous régimes). Ici encore, le médecin généraliste est en première ligne comme générateur de dépenses dont 20 % sont imputables à des soins courants (non liés à une pathologie spécifique). Sur le chapitre relatif au médicament, la CNAM note également que le potentiel d'économies peut venir de la médecine générale, à l'origine de 60 % des dépenses en produits pharmaceutiques délivrés en ville, avec 11 classes de médicaments qui en concentrent à elles seules près des deux tiers. "Sur 9 classes représentant 70 % des prescriptions de médecine générale, un transfert de 1 point des prescriptions hors répertoire vers des produits génériques induirait une économie voisine de 14 millions d'euros, dont 3,3 millions sur les traitements de l’asthme et de la BPCO ainsi que le paracétamol, qui ne sont pas à ce jour inscrits au répertoire même si une offre générique est disponible". Extrapolées à toutes les classes, les économies pourraient s'élever à 25 millions d'euros par point de prescription supplémentaire dans le répertoire.

Enfin, le plan de la CNAM se penche également sur la répartition territoriale des professionnels de santé et les initiatives qui seraient à consolider (praticiens territoriaux de santé, maison de santé pluriprofessionnelles). Mais la CNAM ne mise aucunement sur une baisse des effectifs des médecins : "Aujourd’hui, contrairement à ce qui était annoncé, le nombre de médecins ne diminue pas : l’impact de la baisse du numerus clausus a été compensé par l’arrivée de médecins à diplôme étrangers (25% des premières inscriptions à l’Ordre en 2012) et dans une moindre mesure par des départs à la retraite plus tardifs. Si l’effectif des médecins généralistes est en légère baisse, celui des spécialistes, lui, continue à augmenter, y compris dans des disciplines pour lesquelles une baisse sensible était projetée," conclut l'Assurance-maladie.

Il reste désormais à savoir quel écho la ministre de la Santé et les professionnels de santé concernés donneront à ces propositions d'économies de la CNAM, dont on ne peut imaginer de portée sur le court terme, tant elles supposent de modifications importantes dans les pratiques.

JJC


(1) Améliorer la qualité du système de santé et maîtriser les dépenses : propositions de l’Assurance maladie pour 2015",  Rapport au ministre chargé de la sécurité sociale et au Parlement sur l'évolution des charges et des produits de l’Assurance maladie au titre de 2015.

(2) L'ONDAM est de 179,2 milliards d'euros cette année (+ 2,4  % par rapport à 2013)

(3) 55% des prescriptions de biologie sont le fait des médecins généralistes, 26% des spécialistes libéraux (dont 8% pour les gynécologues et 2% pour les anesthésistes libéraux). 17% proviennent des établissements de santé)

Slider
 

Newsletter

 
 

Formations

 
 

Informations

 
13, rue Fernand Léger, 75020 PARIS 01 43 13 13 13 services@mg-france.fr

Paramétrages de cookies

×

Cookies fonctionnels

Ce site utilise des cookies pour assurer son bon fonctionnement et ne peuvent pas être désactivés de nos systèmes. Nous ne les utilisons pas à des fins publicitaires. Si ces cookies sont bloqués, certaines parties du site ne pourront pas fonctionner.

Pour en savoir plus sur la politique de cookies

Mesure d'audience

Ce site utilise des cookies de mesure et d’analyse d’audience, tels que Google Analytics, afin d’évaluer et d’améliorer notre site internet.

Contenus interactifs

Ce site utilise des composants tiers, tels que NotAllowedScript6628cb062f446ReCAPTCHA, qui peuvent déposer des cookies sur votre machine. Si vous décider de bloquer un composant, le contenu ne s’affichera pas

Réseaux sociaux/Vidéos

Des plug-ins de réseaux sociaux et de vidéos, qui exploitent des cookies, sont présents sur ce site web. Ils permettent d’améliorer la convivialité et la promotion du site grâce à différentes interactions sociales.

Autres cookies

Ce site web utilise un certain nombre de cookies pour gérer, par exemple, les sessions utilisateurs.