L’Assurance-maladie s’inquiète d’un excès de prescriptions concernant certains médicaments hypolipémiants. Sont concernés Crestor, Ezetrol, Inegy, avec une primo-prescription qui va être restreinte. Derrière cette pratique se dissimule une politique du médicament qu'il faut entièrement revoir.
Prenons l’exemple du Crestor, 3ème au classement des plus grosses factures médicamenteuses remboursées par l’Assurance-maladie en 2012 et 2013 ( 338 puis 342 millions d’euros). Cette statine n’apporte rien : la Haute Autorité de Santé (HAS) l’a gratifiée d’un ASMR 5 (amélioration du service médical rendu de 5° rang, soit aucun progrès thérapeutique). Elle est chère, bien plus chère que les molécules de référence. Comment peut-elle être aussi chère avec un ASMR 5 ? La question est à poser à l’État et à son Comité économique des produits de santé (CEPS), seul responsable de la fixation du prix des médicaments…
On pourrait s’étonner que ce médicament soit autant prescrit et faire de la pédagogie en direction des médecins prescripteurs. A la place, on préfère humilier les médecins en leur demandant de converser avec les ordinateurs d’Ameli-Pro qui valideront ou non la prescription. Quelle profession supporterait un tel affront ?
Reste que nous devons balayer devant notre porte : Il est anormal que ce médicament soit un tel succès commercial. Si les médecins étaient totalement protégés des conflits d’intérêt avec les industriels du médicament, il n’en serait pas ainsi. Peut-on rapprocher ce fait de la casse de la formation médicale continue conventionnelle indépendante et scientifiquement étayée, qui a été remplacée par le DPC, deux fois moins de formations indemnisées et un retour en force de l’industrie du médicament dans le financement de la formation médicale continue ?
Constatons-le : dans ce dossier comme dans la politique du médicament en général, nos dirigeants sont en train de perdre totalement pied avec la réalité ! Le prix d’un médicament est fixé par l’État. De manière très opaque et complexe. Résultat, un médicament peu utile se voit attribuer un prix très élevé. Peut-on faire plus sot ! Le fabricant suggère aux médecins que ce produit est meilleur que les autres. Qui d’autre que l’État est en mesure de contrôler la qualité de l’information transmise aux prescripteurs ?
Au Royaume Uni, le British Formulary est sur le bureau de chaque médecin, fourni gratuitement par le National Health Service et mis à jour deux fois par an. A nos autorités de santé, nous disons, chiche ! faites en autant ! Les médecins payent le Vidal électronique subventionné par les fabricants de médicaments, un comble…
Le médicament X se retrouve en tête des ventes : Il faut sévir, punissons les médecins en imposant une procédure administrative digne de Kafka pour sa prescription ! On touche là à l’indépendance professionnelle du médecin sans aucune retenue. Le code de déontologie précise pourtant que le médecin doit se garder libre et indépendant pour la rédaction de ses ordonnances…
Comment nos patients pourraient-ils garder confiance dans un tel système ?
Comment pourrions-nous garder confiance pour notre part dans la façon dont nous sommes gouvernés ?
Tout est à revoir dans la politique du médicament. Les médecins acceptent de reconnaître leur part de responsabilité, mais devant une telle gabegie des administrations que dirige la ministre de la Santé, saura-t-elle prendre les siennes ?
Dr J-C Nogrette