Le 21 octobre 1984, sur un plateau du Causse, près de Rodez, naissait le Mouvement d’Action des Généralistes, impulsé par 10 médecins généralistes qui ne se reconnaissent pas dans les structures représentatives de la profession dans le contexte de l‘époque. Deux ans plus tard, le MAG donnait lui-même naissance à MG France, première et unique structure représentative des médecins généralistes dans l’Hexagone.
En 1984, un 21 octobre, naissait le Mouvement d’Action des Généralistes, dénommé le MAG. Il sonnait le réveil de la médecine générale et invitait l’ensemble des généralistes du territoire à prendre leur destin en main. Il est le fruit d’une réflexion engagée par un groupe de généralistes en exercice qui ne se reconnaissent pas dans les structures représentatives existantes et qui considèrent que l’heure d’une représentation spécifique à leur exercice a sonné. Deux ans plus tard, en 1986 naissait la Fédération Française des Médecins Généralistes (FFMG), aujourd’hui connue sous le nom de MG France. Nicole Renaud, président du MAG et cofondatrice de MG France sera la promotrice d'un mouvement qui ne faiblira plus dans ses développements ultérieurs.
La Fédération Nationale des Omnipraticiens Français (FNOF) sera la structure au sein de laquelle les généralistes vont un temps tenter de s’affirmer. Elle est un syndicat autonome, qui adhère de façon verticale à la CSMF, comme c’est le cas des autres syndicats de spécialistes, avec à sa tête deux personnalités très fortes et souvent aux idées bien divergentes : Jean Bouyer en est le président et Jean Laroze le secrétaire général. Ce dernier est persuadé que seule une scission définitive avec la CSMF donnera un nouvel envol au « syndicalisme omnipraticien ». Chaque année, à l’assemblée générale à Paris, on assiste aux mêmes votes et interrogations : devons-nous rester à la CSMF ou en sortir ? En 1982, la FNOF compte environ 1200 adhérents. Au sein de la CSMF de l’époque, ses dirigeants préparent la mort de la FNOF pour la transformer en un simple « collège » au sein de la Confédération. Quelques généralistes engagés dans la structure écrivent alors au président de la CSMF, le Dr Jacques Beaupère : « Nous voulons que la FNOF vive au sein de la CSMF et une réforme des statuts qui doit conduire à une représentativité syndicale réelle des généralistes. Pour cela, il faudra la parité généralistes-spécialistes et que les représentants des généralistes soient élus à tous les niveaux par un collège de médecins généralistes…faute de quoi vous pouvez être sûr qu’un syndicalisme spécifique de généralistes se fera en dehors de la confédération, tant il parait préférable d’être rien à l’extérieur de la confédération que moins que rien à l’intérieur ». Le message adressé en préambule du congrès de la FNOF à Bayonne, par Nicole Renaud et François Angles, généralistes en Aveyron, Jacqueline Valensi, de Paris et Georges Pradoura, de Marseille, est sans ambiguïté. Richard Bouton, généraliste à Roanne et compagnon de route des contestataires pense pour sa part que le temps de la riposte n’est pas encore venu et qu’il faut attendre.
A Bayonne, Nicole Renaud (photo), 35 ans, vice-présidente de la FNOF, monte à la tribune pour lancer un appel : « Nous affirmons, pour notre part, que la défense de notre exercice ne peut être valablement assurée que par le syndicalisme. Le syndicat devra bien sûr réfléchir et proposer, mais surtout agir. Les moyens de cette action passent par une représentation réelle des généralistes dans un syndicat pluridisciplinaire où sera préservée leur spécificité et où il sera tenu compte de leur nombre. Nous conditionnons notre maintien à la CSMF au respect de ces principes ». L’appel sera entendu mais ne sera pas suivi d’effet.
Début mai 1984, rien ne va plus pour les médecins généralistes. Les spécialistes se sont appropriés les deux tiers de l’enveloppe accordée par l’assurance-maladie pour revaloriser les honoraires ; la visite n’a pas été réévaluée depuis 4 ans et son tarif semble bloqué jusqu’au mois d’avril 1985. L’assemblée générale de la CSMF du 8 mai 1984 doit se prononcer sur le niveau de rémunération que l’on doit accorder à la visite du médecin généraliste. Mais les généralistes de la FNOF, qui viennent de recevoir l’appui du président du syndicat de la médecine de groupe, ne pourront pas faire connaître leur position. Les spécialistes de la Confédération défileront à la tribune pour donner leur estimation de la valeur de la visite du généraliste, avant que son président ne sonne la fin des débats et demande de passer au vote. Les généralistes ne pourront rien ajouter. Ce sera la goutte d’eau qui fera déborder le vase.
Le 13 juin 1984, Nicole Renaud invite 10 généralistes (1) à se rendre pour le week-end, à son domicile, à Saint-Cyprien-sur-Dourdou, à 30 km au Nord de Rodez (les 10 ci-contre). Ils représentent les jeunes, les femmes, les médecins investis dans la formation initiale et continue, les généralistes qui se sont lancés dans la recherche. Venus d’horizons et de régions diverses, ils veulent défendre les intérêts matériels et moraux des médecins généralistes. Cinq d’entre eux siègent au comité directeur de la FNOF. Un week-end durant, ils peaufineront un texte qui paraitra dans la presse sous le titre de "l’Appel des 10". Les axes de ce dernier concernent le système de santé, la place de la médecine générale dans l’univers médical, le syndicalisme médical. Il brosse une analyse de la situation de la médecine générale en 1984, dans un univers où triomphe d’un côté l’hospitalo-centrisme et de l’autre le recours aux médecines alternatives, pilotées par les MEP (médecins à exercice particulier). Les syndicats de médecins en place soutiennent la proposition de l’Assurance-maladie de réduire le nombre de généralistes de 20 000. Le terme « médecine générale » n’apparaît nulle part dans la convention médicale. L’hôpital projette de sortir de ses murs par les alternatives à l’hospitalisation. La sélection des généralistes se fait surtout par l’échec (à l’internat de spécialité). Au vu de cet état des lieux, les généralistes réunis en Aveyron estiment qu’« il n’y a pas d’avenir pour la médecine générale en 1984 ». A leurs constats, ils vont opposer un projet pour la médecine générale et définir des missions pour le médecin généraliste. Ils vont demander à ce que l’on revisite les modalités de sa formation initiale et demander à ce que la formation continue comble « les lacunes d’un enseignement inadapté ». L'hôpital forme alors des spécialistes d'organe, sans rapport avec le contenu du métier de généraliste. Les revendications principales des 10 portent sur trois points : la négociation d’une convention spécifique à la médecine générale, une rémunération pour le généraliste qui soit adaptée à son mode d’exercice et enfin la création d’une structure de défense de la médecine générale. En conclusion, ils lancent un « un appel solennel à tous les médecins généralistes de France qui se reconnaissent dans cette analyse et qui, conscients de l’urgence de la situation, sont décidés à mettre en œuvre les moyens indispensables à la sauvegarde de leur profession ».
Le mouvement est désormais lancé et plus rien ne l’arrêtera. La presse s’emparera des réflexions et revendications des 10 généralistes et au sein de la CSMF, sa direction ne comprendra pas vraiment ce que veulent ces médecins en colère. Pour autant, certains de ses membres entendent l’avertissement : « La base est à cran, si nous ne faisons rien, tout explose » prévient le Dr Dogué, président de l’Association confédérale de formation médicale (ACFM). « Le texte des 10 est en même temps un programme et un ultimatum », lit-on dans les pages de l'hebdomadaire Le Généraliste. Reçus à la confédération, les auteurs de l’appel des 10 vont pousser la CSMF à créer un Comité de Salut Public, composé de 23 membres, dont 4 des 10 auteurs de « l’Appel des 10 », avec Richard Bouton, Philippe Degeyne, Georges Pradoura, Antoinette Viennet (future présidente de l’UNOF). Durant tout l’été, les 23 vont se réunir régulièrement et les conclusions de leurs travaux sont attendues à la CSMF pour 7 octobre 1984. Les 10 obtiendront 3 sièges au Conseil confédéral, mais seulement à titre consultatif et trois commissions de travail sont mises en place. Elles portent sur les nouveaux modes de communication, l’organisation du système de santé et la rémunération du médecin généraliste. Les premières divergences entre la direction de la CSMF et le Comité vont se manifester. Elles portent sur la négociation conventionnelle et la question des honoraires. Malgré ces quelques divergences, l’été sera consacré à la construction de la future UNOF (Union nationale des omnipraticiens français), initialement prévue pour septembre, mais dont la date sera par la suite repoussée au 18 novembre. Entre temps, les 10 veulent aller pouvoir négocier la convention de 1985, qui ne présage rien de bon pour la médecine générale.
Depuis l’Aveyron, Nicole Renaud prépare de son côté un séminaire de médecine rurale qui doit se tenir les 19, 20 et 21 octobre. Rodez, où se tiendra cet évènement, doit servir de tremplin à la création de l’UNOF et permettre à un grand nombre de généralistes présents d’adhérer à ce grand « collège confédéral ». Réunis à Roanne, les 10 décident que plus personne ne pourra jamais plus décider à leur place. Au moment où Nicole Renaud s’apprête à repartir en Aveyron, Richard Bouton arrive vers sa voiture et lui dit : « J’ai trouvé le nom que nous donnerons à notre mouvement ; nous l’appellerons MAG : Mouvement d’Action des Généralistes ». Les esprits sont mûrs.
A Rodez, 250 généralistes venus de toute la France, sont présents. Le président de la CSMF est accueilli par Nicole Renaud à sa descente d’avion. Elle le prévient aussitôt : si les demandes de négociation et d’autonomie de gestion demandées par les 10 ne sont pas acceptées, ils ne siègeront pas à l’UNOF. En guise de réponse, le bureau confédéral quitte le séminaire pour aller déjeuner au vert, à Bozoul, village situé à 10 km de Rodez, connu pour son célèbre « trou ». Avant le discours de clôture du séminaire, un des membres du bureau de la CSMF dit en aparté à Nicole Renaud : « Présentez-vous à la présidence de l’UNOF. Tous les mandats sont pour vous » ! Celle qui par avance a postulé à cette présidence – Antoine Vienet – est dans l’ignorance de cette proposition. La Confédération veut éviter la rupture. Ce sera le schisme.
En clôture de ce séminaire de trois jours, le dimanche matin du 21 octobre, Richard Bouton déclare au nom des 10 : « Depuis mai dernier, nous avons eu des contacts avec de nombreux généralistes syndiqués ou pas. Ils sont tous d’accord avec nos idées. Certains nous ont dit : « si vous quittez la confédération, on vous suit » ; d’autres, au contraire, nous ont dit : « l’UNOF, rien que l’UNOF » ! Nous espérons attirer vers nous la masse des 40 000 généralistes non syndiqués et qui ne sont certainement pas à la veille de le faire. Dix ans d’échec du syndicalisme, cela laisse des traces malgré tout. ». Le président de la CSMF ne croit pas que l’opération puisse réussir. Pourtant, rapidement les statuts du Mouvement d’Action des Généralistes sont déposés. Le conseil d’administration est constitué, le bureau élu. Nicole Renaud sera nommée présidente et Richard Bouton secrétaire. La cotisation est fixée à 200 francs. Alors que la CSMF crée son "collège" d’omnipraticiens avec l’UNOF, présidée par Antoine Viennet, les fondateurs du MAG entament un tour de France des adhésions. Le ministère des Affaires sociales accordera au mouvement une subvention de 300 000 francs. En décembre, les 10 rédigent une convention spécifique pour les médecins généralistes, s’appuyant sur le texte du « groupe des 10 », qui sera présentée au ministère des Affaires sociales. Une de leurs propositions ne passe pas inaperçue : rémunérer un jour par semaine les médecins généralistes de façon forfaitaire pour qu’ils puissent mener des actions de prévention et d’éducation thérapeutique. Les bases d’une médecine de premier recours aux fonctions élargies sont créées. Les adhésions affluent. Les témoignages de soutien également. Chaque région crée son petit « MAG » départemental. Le mouvement voit ses rangs grossir mois après mois.
L’UNOF n’est pas « le grand collège » attendu au sein de la CSMF. Elle n’a pas obtenu la permission de s’asseoir à la table des négociations conventionnelles. Pour le MAG, c’est une fois de plus le constat que, malgré les multiples rencontres de ses fondateurs avec le ministère et la CNAM, les généralistes n’ont pas été entendus. A Jacques Beaupère, ils écrivent : « Ce que les généralistes vous contestent, ce n’est pas vos talents de négociateurs, c’est le contenu même de la négociation ». Une première victoire est cependant enregistrée : le mot « médecine générale » est pour la première fois inscrit dans une convention médicale. Mais seulement dans l’introduction du texte. La convention est discussion avec l’assurance-maladie est axée sur la gestion du risque et le contrôle des prescriptions du médecin généraliste, qui est désigné comme seul responsable de l’inflation des dépenses de santé. Le secteur à honoraires libres n’est pas remis en cause et la CSMF continue à plaider pour un décrochage des honoraires des médecins des remboursements aux assurés sociaux. Au total, le refus persistant de la CSMF d’accepter dans sa « maison confédérale » une structure de généralistes disposant de l’autonomie de décision et de moyens, qui puisse représenter les généralistes ex cathedra à la table des négociations conventionnelle, poussera le MAG à évoluer vers une Fédération de syndicats départementaux de généralistes.
Deux ans après son lancement, le MAG se transformera en un syndicat de médecins généralistes, présent dans 80 départements. MG France naîtra de cette aventure humaine singulière, qui a vu « 10 petits généralistes » résolus prendre en main leur destin et proposer à l’ensemble de leurs confrères de les accompagner sur le chemin d’une médecine générale en mouvement et qui entend servir utilement le système de santé. Un mouvement qui n’a jamais cessé depuis.
Le 6 décembre 2024, à la veille de leur assemblée générale statutaire, les membres de MG France fêteront le 40ème anniversaire de la naissance d'un mouvement qui a été précurseur de leur syndicat, mais surtout d'un élan qui n'a plus faibli depuis. Le 21 octobre 1984, les généralistes ont suivi le conseil lancé par Nicole Renaud : "Ne laissons plus personne décider à notre place". Largement entendu, il conserve une totale actualité dans les rangs d'une profession qui, 40 ans plus tard, se prépare à mener de nouvelles batailles.
JJC
NB : L'histoire du MAG, préfigurateur de MG France , est l'objet d'un livre de Nicole Renaud, qui sera publié début décembre 2014 sous le titre : "La médecine générale, une histoire en, mouvement"
(1) Les 10 généralistes ont pour noms : François Angles, installé en 1984 à Sébazac, près de Rodez (12), Pierre Atlan, généraliste à Paris, Guy Barbara, installé en milieu rural en Aveyron, Richard Bouton, exerçant à Roanne, Philippe Degeyne, généraliste à Vendôme, Pierre Favard, installé à Montesquiou dans le Gers, Georges Pradoura, qui exerce à Marseille, Nicole Renaud, généraliste à St-Cyprien-sur-Dourdou, en Aveyron, Jacqueline Valensi, généraliste à Paris, et enfin Bernard Wolf, qui exerce à Villebon, en banlieue parisienne.