Strasbourg - 14 juillet 1518

Une femme, Frau Toffea commence à se trémousser, seule, dans les rues. Personne ne mit de la musique pourtant et son visage était sans joie. Malgré les supplications de son mari, la fatigue et les pieds en sang, elle continue pendant six jours et nuits, juste entrecoupés de quelques siestes. Cette femme est le patient zéro d’une étrange épidémie de danse qui toucha la cité alsacienne.

Entre-temps, d'autres personnes vont la rejoindre. Au 25 juillet, 50 individus sont contaminés, ils seront au total plus de 400. Les femmes, hommes et enfants atteints de cette étrange « manie dansante » crient, implorent de l'aide, mais ne peuvent s'arrêter. Ils sont en transe.
Le verdict des médecins est la conséquence des théories humorales de l'époque : la maladie est causée par un échauffement excessif du sang. Le traitement consiste à soigner le mal par le mal, donc danser avantage. De l'espace est laissé aux danseurs et des douzaines de musiciens professionnels sont engagés pour les accompagner, nuit et jour. Sans oublier de leur mettre à disposition de l’eau, de la bière et de la nourriture pour qu’ils tiennent le coup. En vain. Jusqu'à quinze danseurs succomberont chaque jour victimes de déshydratation ou d'accidents cardio-vasculaires.
Face à l'échec, le conseil fait volte-face : les estrades sont démontées, les orchestres interdits. Mais le phénomène ne prendra fin que quelques semaines plus tard, quand les danseurs seront convoyés à Saverne, à une journée de Strasbourg, pour y assister à une cérémonie en l'honneur de Saint Guy.
Aujourd’hui, cet épisode continue d'intriguer. Car il ne s'agit pas d'une légende. La manie dansante de Strasbourg, qui n'est ni la première ni la dernière épidémie de danse, est l'une des mieux documentées. Au fil des siècles, plusieurs scénarios ont été avancés : ergotisme (intoxication par le seigle), culte hérétique, possession démoniaque, ou encore hystérie collective.
En fait, les phénomènes de transe sont plus susceptibles de survenir chez des individus vulnérables sur le plan psychologique, et qui croient aux châtiments divins. Or, ces deux conditions étaient réunies à Strasbourg qui avait été frappée par une succession inhabituelle d'épidémies et de famines ; et ses habitants croyaient à Saint-Guy, capable autant d'infliger que de guérir des maladies, par la danse notamment. En conclusion, c’est peut-être le désespoir qui fait danser les gens. Mais, ça, c’est une autre histoire.

Andrei VIAL