Déserts médicaux : changeons de politique !

Une autre politique est possible !

Plus de 6 millions de Français sans médecin traitant, de nombreux départs en retraite chez les médecins généralistes, des inégalités en santé qui s’accroissent sur le plan social comme sur le plan territorial … Face à cette situation sanitaire dégradée, nos gouvernements successifs tardent à organiser un système de santé cohérent en mesure de répondre aux besoins de santé des Français.

La politique de santé qui s’écrit sous nos yeux est une dérégulation qui ne dit pas son nom
Après la prise de position controversée des ordres professionnels en faveur de « transferts de compétence », la récente proposition de loi de Stéphanie Rist1  donne un nouvel exemple de cette dérégulation. Alors que la porte d’entrée dans le parcours de soins est de principe le médecin traitant, une nouvelle loi de santé organise son contournement en déléguant ses missions à d’autres professions de santé. Vaccinations, tests de diagnostic et dépistages en pharmacie, puis accès direct chez le kinésithérapeute et chez l’orthophoniste, renouvellement des ordonnances par l’infirmière … A cette longue liste décidée sans concertation avec les médecins concernés, s’ajoute la concurrence de plateformes de télémédecine délocalisées et des télécabines. Accès direct et centres de soins non programmés sont proposés sans s’interroger sur la régulation des ressources disponibles, au détriment de besoins réels qui ne cessent de croitre, notamment coordination des maladies chroniques et situations médico-psycho-sociales complexes.  
Si ces changements prétendent apporter des solutions palliatives à la crise démographique qui rend les médecins généralistes moins accessibles, leurs conséquences n’en sont pas moins redoutables.

On ne désorganise pas le parcours de soins sans risquer retards de diagnostic et pertes de chances. On ne remplace pas un médecin traitant par un pharmacien ou par une infirmière, quelles que soient leurs qualités professionnelles intrinsèques ! Tous les médecins savent qu’un motif de consultation banal cache souvent un souci plus sérieux. Tous les médecins généralistes traitants savent qu’un renouvellement d’ordonnance est une réévaluation des bénéfices et risques d’un traitement souvent complexe. Près de 30% des consultations de médecine générale concernent la santé mentale, source de motifs de consultation cachés ... Près de 20 millions de personnes sont atteintes de maladies chroniques qui touchent plus souvent les personnes modestes et nécessitent un accompagnement2. Le médecin généraliste, au centre de l’histoire médicale de son patient et de son environnement familial, social et professionnel, est particulièrement qualifié pour agir pour la promotion de la santé sous toutes ses formes.

Les médecins généralistes le vivent au quotidien : leur enlever les actes de soins les plus courts ne diminue pas une charge de travail globale qui se concentre sur les situations complexes. Sans justification réelle, cette désorganisation de leur métier s’ajoute à l’absence d’amélioration de leurs conditions d’exercice ; elles entrainent démotivation des plus anciens, perte de sens et d’attractivité pour les plus jeunes. Confrontés au risque de coercition lors de leur installation, les jeunes médecins se détournent de l’exercice libéral de la médecine générale qui concentre les contraintes. Se crée ainsi une spirale infernale qui désespère les plus actifs et contribue à accroitre le phénomène des « déserts médicaux ».

Une autre politique est possible !
Sans suivi médical, sans coordination des parcours de soins, sans orientation dans un système de santé peu lisible par la population, on génère des recours aux soins non adaptés aux besoins, une inflation des dépenses inutiles, voire un renoncement aux soins. De gros appétits financiers tournoient au-dessus du système de santé prêts à fondre sur tout ce qui peut être ou devenir rentable, même s’il faut pour cela détruire des équilibres fragiles et semer la zizanie entre les acteurs des soins. La solution n’est pas de se débarrasser du médecin généraliste, mais de lui donner les moyens de réaliser les fonctions « traitantes » pour lesquelles il a été formé. Ce n’est non plus de le dissoudre dans le concept flou d’équipe traitante : responsabilité médicale liée à la prise de décision et relation de confiance durable à laquelle sont attachés les patients ne se partagent pas ! Plutôt que d’évoquer une équipe traitante, il faut construire l’équipe du médecin traitant pour lui permettre d’assurer ses missions de soins et de santé publique au bénéfice des patients du territoire3 .

Alors que plusieurs propositions de loi voudraient contraindre les jeunes médecins à s’installer en zones désertifiées dans des cabinets mal équipés et non organisés, la priorité absolue d’une politique sanitaire efficace et cohérente devrait être de soutenir les médecins généralistes en activité. Cette priorité aurait dû être celle de tous nos gouvernants, sans attendre les résultats de la CNR-Santé qui retarde la mise en œuvre d’un plan d’action urgent.

Très simplement il s’agit de venir renforcer l’offre de soins locale des médecins en exercice en étoffant l’équipe de proximité de leurs cabinets médicaux. Autant que de besoin, cette offre serait optimisée par un personnel d’accueil ou un secrétariat physique, par la présence d’assistants médicaux et grâce à des infirmières collaboratrices pour le suivi des patients et l’éducation en santé4. Ce que font déjà les médecins les plus déterminés doit devenir beaucoup plus accessible à tous leurs collègues qui le souhaitent.

Les systèmes de santé de nos voisins européens nous montrent que cette équipe de proximité est le socle d’un système de santé organisé comme le recommande l’OMS, avec un rapport cout/efficacité très favorable. Les projets développés aujourd’hui en France, qu’il s’agisse d’opérateurs publics, associatifs ou privés, s’appuient sur le concept d’équipe de proximité au sein du cabinet médical pour augmenter l’offre de soins et rendre l’exercice de la médecine générale plus attractif afin de recruter plus facilement. Le rapport du Haut Conseil pour l’Avenir de l’Assurance Maladie publié en septembre 20225 décrit comment cette équipe de proximité s’articule avec les structures d’exercice coordonné (maisons de santé pluriprofessionnelles, communautés professionnelles territoriales de santé) qui s’organisent parallèlement. Ces modèles se complètent sans s’opposer, mais, de même qu’on n’imagine pas un pharmacien sans préparateurs et sans assistants, le spécialiste de médecine générale ne doit plus être condamné à exercer sans collaborateurs. Dans un système de santé bien organisé, chaque profession joue sa partition et contribue à la santé de tous sans fausses notes, sans compétition ni hiérarchie, en mobilisant au mieux les compétences spécifiques à chaque métier.

On est en droit de demander pourquoi notre pays n’a jamais fait l’effort d’investir sur les soins de santé de base ou soins de santé primaire. Quoiqu’il en soit, une politique publique efficace pour l’accès aux soins s’appuie nécessairement sur une analyse des besoins de santé de nos bassins de vie, puis sur une programmation concertée avec les élus locaux et la population de l’offre de soins au niveau départemental. Elle doit permettre aux médecins généralistes et à leurs collaborateurs d’accueillir plus de patients grâce à des locaux adaptés à un exercice collectif, comme l’ont déjà fait certaines collectivités territoriales. Cette politique de santé doit enfin accélérer le déploiement de ces dispositifs territoriaux, en utilisant tous les leviers offerts par la convention médicale qui se négocie en cette fin d’année. Elle nécessite de la clairvoyance et un fort courage politique.

Chez nos voisins européens, le ratio entre médecins généralistes et population est plus bas qu’en France alors que l’accès aux soins y est assuré dans de bonnes conditions. Serions-nous définitivement incapables de conduire une politique d’aménagement territorial en santé efficace ? Que nous soyons patients en souffrance, professionnels aujourd’hui découragés et en colère, élus territoriaux, parlementaires ou gouvernants, il nous revient de rompre avec la dérégulation en cours et de déployer la politique de soutien de l’offre de soins primaires existante que nous venons de dessiner.

 

Dr Jacques Battistoni, médecin généraliste, président du syndicat MG France de décembre 2017 à juin 2022
Pr Pierre-Louis Druais, médecin généraliste, président du Collège de la Médecine Générale de 2009 à 2019
Dr Emilie Frelat, médecin généraliste, présidente du syndicat SNJMG de 2015 à 2017.

 

1: https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b0362_proposition-loi#

2: DRESS octobre 2022 : https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2022-10/ER1243_MAJ.pdf

3: Rapport : La place et le rôle de la médecine générale dans le système de soins.https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/Rapport_Druais_Mars_2015.pdf

4: Infirmières de santé publique de l’association Asalée ou infirmières de pratique avancée en soins primaires

5: https://www.securite-sociale.fr/files/live/sites/SSFR/files/HCAAM/2022/Rapport%20Hcaam%20Organisation%20soins%20proximite.pdf

 

 

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