Les actes du colloque Un médecin traitant pour tous, à quel prix?

Un médecin traitant pour quel modèle de prise en charge et à quel prix ?

MG France a organisé le 3 décembre dernier un colloque au ministère de la Santé sur le thème « un médecin traitant pour tous : à quel prix ? » en présence de quelque 150 médecins, responsables institutionnels et décideurs du monde de la santé. Après un état des lieux des « modèles » de prise en charge existants – MSP, centre de santé, cabinet individuel -, la rencontre a vu quelques experts et décideurs s’interroger sur la pertinence de ces modèles comme de leur financement présent et à venir.

De 2012 à 2021, nous sommes passés de 64 000 médecins généralistes libéraux à 57 000, a fait savoir en introduction le Dr Jean-Louis Bensoussan, secrétaire général de MG France. Les médecins en activité mixte ont vu leur nombre augmenter de 4 700 à 8 300. Les médecins hospitaliers de 17 000 à 19 000. Et pour les autres médecins salariés, les effectifs sont restés constants sur la période. » Ce tableau de la démographie, qui enregistre 7,5 % des médecins généralistes en secteur 2, doit être complété par celui des revenus, qui atteignent 91 000 euros pour les médecins généralistes contre 157 000 pour les praticiens des autres spécialités.

11 % des patients sans médecin traitant
Ces quelques données ont été largement complétées par un état des lieux plus détaillé qu’a présenté Margueritte Cazeneuve, directrice déléguée à la gestion et à l’organisation des soins à la Caisse nationale d’Assurance-maladie. Les effectifs de médecins libéraux ont fortement chuté depuis les années 2000, a souligné cette dernière, une baisse accompagnée de celle de la densité médicale, qui a chuté de 91 à 78 pour 100 000 habitants. « La situation ne va pas s’améliorer dans les prochaines années et ce n’est qu’en 2030 que l’on retrouvera le niveau des médecins d’aujourd’hui ». « Nous avons donc devant nous 10 années difficiles », a ajouté la directrice. En termes d’activité, on observe une relative stabilisation des actes clinques réalisés, le nombre de consultations et visites par médecin généraliste libéral (en activité à part entière (APE) s’établissant à 5000 actes par an, en très légère baisse depuis 20 ans (-2 % entre 2000 et 2019).
Phénomène marquant de la période actuelle, 11 % des patients de plus de 17 ans n’ont pas de médecin traitant (contre 9,8 % en 2017). Sur ce nombre, une moitié n’a strictement aucun médecin traitant (MT) et l’autre moitié a vu son MT partir à la retraite et se retrouve ainsi sans médecin. Le nombre de ces derniers progresse sur la période récente, de 3 % des patients à près de 6 %. Toujours sur le même registre des patients sans MT, sur 5,959 millions de personnes, majoritairement des hommes (57 %), 620 000 sont en ALD. Le total des sans MT est surtout porté par les jeunes (un jeune de moins de 30 ans sur 5), avec, à l’autre extrémité de la vie, 1 million des plus de 60 ans sans MT. « Le poids des pathologies « lourdes » est plus élevé chez les patients avec MT que chez les patients sans MT », note sur ce dernier registre la directrice : 70 % des patients sans MT n’ont pas de pathologie ou traitement dédié contre 48 % chez ceux qui ont un MT. Par ailleurs, les patients sans MT ont moins recours aux soins : le nombre d’actes cliniques qui leur sont délivrés s’élève ainsi à 2,3 par an, contre 4,4 pour les assurés ayant un MT. De leur côté, les actes délivrés par les spécialistes s’élèvent respectivement à 0,9 contre 1,6 en moyenne.
Enfin, la carte de France des départements où les patients sont sans MT doit être comparée à celle de la densité des médecins généralistes libéraux (hors MEP). « On a cette idée que la désertification médicale est plutôt un sujet rural. Ce qui n’est pas tout à fait exact, note Marguerite Cazeneuve. L’Ile-de-France est ainsi une région touchée par la question de la patientèle sans MT, avec une moyenne de 13 % ». Cet état des lieux a été complété par l’analyse de la patientèle adulte des médecins généralistes : de 907 patients en fin 2017, leur nombre a cru à 941 en juin 2021, 94 % des adultes ayant déclaré un généraliste comme MT, 4 % un MEP et 2 % un médecin exerçant en établissement de santé (centre de santé inclus). Ce nombre de patients varie fortement selon les médecins : il s’étend de 173 patients en moyenne à 1 645 patients pour les 10 % de médecins ayant la moyenne la plus importante. « Conclusion sans surprise, commente la directrice de la CNAM : les patients – en particulier ceux qui sont en ALD - qui ont un MT sont mieux suivis ! » Enfin, « bonne nouvelle », 6,474 millions d’enfants ont déclaré avoir un médecin traitant : pour 87 %, il s’agit d’un médecin généraliste (qui suit en moyenne 113 enfant dans sa patientèle) et pour 12 % un pédiatre (332 enfants). « Le dispositif gagne du terrain, malgré les évènements récents », conclut Margueritte Cazeneuve.

Quel modèle, pour quelle organisation économique, à quel prix ?
Jean-Charles Leclerc, secrétaire général de la Fédération nationale des médecins radiologues (FNMR) a rappelé que sa profession rassemble 4 000 praticiens libéraux, auxquels il faut ajouter 30 000 collaborateurs de professions diverses. Les ressources de l’entreprise libérale s’appuient sur le paiement à l’acte, basé sur une CCAM qui date de 2005, pour payer le personnel, les équipements (un scanner coûte un million d’euros), les locaux, les formations du personnel ou encore les démarches qualité. « Nous vivons des baisses de cotation quasi annuelles », a fait savoir le radiologue. Des baisses qui se traduisent sur 10 ans par une perte d’un milliard d’euros, qui ont impacté l’imagerie médicale. L’entreprise médicale de radiologie fait appel à des délégations de tâches, « placées sous la responsabilité du médecin radiologue ». « Notre modèle a des limites, du fait des baisses tarifaires », commente J-C Leclerc, qui entrainent « une dégradation de la prise en charge médicale du patient », « des fermetures de sites imposées par des regroupements, forcés par les conditions économiques imposées ». Toutes choses qui aboutissent à des difficultés d’accès aux soins, à des désertifications ou encore à une moindre prévention et dépistage des cancers. « Nous vivons de grandes difficultés pour faire des plans d’investissements lorsque la règle du jeu change tous les ans ! » A ces contraintes et difficultés s’ajoutent la limitation du parc Scan/IRM ou encore « l’arrivée, comme en biologie, de prédateurs financiers qui sélectionnent les centres d’imagerie à acheter les plus rentables ».
D’une façon générale cette situation économique constitue, aux yeux du président de la FNMR, « un frein à l’innovation ». Pour surmonter ces handicaps et rompre avec un modèle « qui ne permet pas de prendre plus de patients », ce dernier demande de « sortir de la logique d’enveloppes fermées, avec des entrées qui soient à la hauteur du taux de charge » « Nous devons travailler ensemble, avec les médecins généralistes, en amont de la demande d’examens, en bonne relation avec la pathologie recherchée, afin que nous fassions les bons examens radiologiques et évitions les examens inutiles », a conclu Jean-Charles Leclerc.

« Notre modèle actuel est bousculé », avance de son coté Pascal Gendry. Pour le président d’AVECSanté, structure qui regroupe les maisons et pôles de santé pluriprofessionnels (MSP), ces dernières vont devoir augmenter leur patientèle. « Il n’est pas question de laisser une partie de la population sur la touche ». la patientèle des MT en MSP est de 10 à 15 % supérieure à celle des médecins isolés et la structure permet d’absorber plus de patients. « Nous avons un double enjeu : comment nos structures peuvent accompagner plus de patients et comment déployer ce nombre de structures sur tout le territoire ». Le modèle des MSP repose sur le paiement à l’acte, abondé par des forfaits structure et patientèle, appuyé par l’ACI, qui constitue un soutien financier pour faire fonctionner la structure. « Cela permet de financer un système d’information, une fonction de coordination, d’indemniser des professionnels pour leurs réunions de travail, mais ce n’est pas un revenu supplémentaire pour le médecin », note le président. A cela s’ajoutent quelques expérimentations, permises par l’article 51 de la Loi de financement de la sécu de 2018, qui bousculent le système et « permettent d’absorber une patientèle un peu plus importante ». Mais le modèle actuel connait aussi ses limites ! Elles se situent dans le « tout à l’acte », qui ne permet pas de changer les manières de travailler en équipe pluriprofessionnelle. Sans compter que le coût de fonctionnement en équipe n’est pas couvert, si ce n’est par l’augmentation de la patientèle. Enfin, l’ACI est calculé sur la base de la patientèle médecin traitant et dès lors qu’un médecin part à la retraite, ce départ impacte fortement la structure. « Jusqu’à ce jour, l’ACI a été peu évolutif et il a besoin d’un coup de boost pour « faire murir » ces structures », note Pascal Gendry. Dès lors, quelles solutions apporter pour permettre au modèle d’évoluer ? « C’est répondre à la question du prix de la réorganisation des soins primaires, poursuit ce dernier. C’est la volonté d’avoir une capacité plus grande à structurer les équipes, donc à financer les organisations qui permettent par des protocoles, par des locaux, par un système d’information adapté et aussi par des pratiques professionnelles nouvelles, d’accueillir des patients en nombre plus important et peut être avec un accueil qui ne relève pas que du médecin traitant ». A ses yeux, les autres professionnels peuvent aussi accueillir des patients dans une logique d’équipe, à partir du moment où cette intégration est négociée. « Enfin, le management de l’équipe doit être travaillé, financé. En un mot la fonction des « leaders » doit être mieux reconnue et non pas laissée au seul bon vouloir de ceux qui s’y impliquent. Car des leaders historiques vont bientôt partir et un nombre insuffisant d’équipe a investi dans la fonction de coordination.
Au total, un nouvel équilibre est à trouver entre le financement de l’activité clinique du médecin généraliste et le financement de la qualité de ce qui va être produit par l’équipe. « Il faut aussi financer les nouvelles missions du MG au sein de l’équipe », plaide Pascal Gendry. « Il a une mission de superviseur des parcours qui doit clairement être reconnue ». « il faut sortir de ce paiement à l’acte médico centré et sans doute favoriser l’émergence de nouveaux financements, tels que les forfaits d’équipe, des financements collectifs d’équipe en laissant à l’équipe la main pour ce répartir ce qui est produit ». Des équipes fortement engagées dans IPEP (Incitation à une prise en charge partagée) et PEPS (Paiement forfaitaire en équipe de professionnels de santé) sont déjà dans cette logique. Enfin, « il faut augmenter l’ACI pour bien financer la structure et se donner d’autres objectifs, dont la contractualisation sur des objectifs de santé publique et être financés par ces biais »
« Le prix de cette augmentation de la patientèle pour l’équipe est aussi le prix d’une volonté politique, d’une évolution dans nos missions, nos pratiques et nos postures », conclut le président d’AVECSanté.

Pour Alain Aumaréchal, médecin généraliste à Vendôme (41), ville qui compte 24 000 habitants, dotée d’une clinique et d’un centre hospitalier, les enjeux sont sensiblement différents. Car de 21 généralistes en 2013, la ville a vu chuter leurs effectifs à 12 en 2021. Son entreprise médicale, une maison de santé pluriprofessionnelle universitaire (MSPU), comprenait une secrétaire médicale ETP pour 2 000 patients en 2013. Le cabinet héberge désormais 1,5 secrétaire médicale ETP, une infirmière ASALEE (0,8 ETP), une assistante médicale (0,8 ETP) et une infirmière en pratique avancée (0,8 ETP) pour prendre en charge 3000 patients. « Cette mobilisation des différents opérateurs m’a permis d’accueillir davantage de patients et d’améliorer leur prise en charge », note le généraliste. « Ce modèle est possible, car c’est nous qui construisons et développons cette organisation de soins. Ce serait impossible sans l’aide et le support d’une équipe d’ingénieurs qui nous accompagnent fidèlement et au plus près de nos attentes et demandes ». La caractéristique principale de ce modèle accompagné est « l’horizontalité » : « Le généraliste est responsable et coordonne le parcours de soins du patient ». De plus la MSP n’intervient ni dans l’interaction, ni dans le financement des différents acteurs. « Ce modèle n’est pas possible s’il manque un des acteurs et aucun des acteurs ne peut se substituer à un autre », explique encore Alain Aumaréchal. Il estime que sa charge de travail n’a pas augmenté et que sa charge mentale s’est allégée malgré l’augmentation de sa patientèle. Car il n’est plus l’unique acteur de la prise en charge des soins. Du coup, il a pu s’investir dans d’autres missions, l’enseignement, le développement de la MSP et des CPTS. Tout ceci n’aurait pas été possible sans un fort soutien de la Collectivité, qui a été promoteur de la construction du nouveau bâtiment dans lequel sont installés les professionnels de santé depuis octobre 2021, chacun logeant dans un bureau dédié, tous payant un loyer à la Collectivité. Dans ce modèle, le temps libéré a permis aux professionnels de mieux s’organiser sur les soins non programmés et d’accueillir davantage de patients en situation de soins aigus. Reste que son équilibre économique demeure fragile et requière de nouvelles réponses pour couvrir les frais de structure.
   Un médecin traitant à tout prix ? « La question est-elle pertinente pour un centre de santé », interroge Didier Duhot, directeur du centre municipal de santé universitaire de la ville de Pantin (93), membre de la Fédération nationale des centres de santé (FBCS) et vice-président de la Société française de Médecine Générale (SFMG). Car le centre de santé de Pantin fait du soin, mais aussi de l’enseignement et de la recherche en santé publique. A cela s’ajoute le fait que le statut de son établissement lui impose de n’exclure aucune personne. « On ne peut exclure personne du fait d’un manque de MT. Nous devons accepter tous ceux qui se présentent à nous ! » Le 93 est un département très pauvre, jeune avec des quartiers où la population étrangère est majoritaire, avec des primo-arrivants non assurés, à l’AME. « Notre modèle économique, par la population accueillie, par le tiers payant, nous coûte 3,3 euros par feuille de soin envoyée ». 1er CMSU en France et doté de trois centres sur la ville, le centre de Pantin emploie 20 médecins généralistes – dont 15 ETP - et 10 autres spécialistes, 13 IDE, 5 dentistes, orthodontistes et 7 assistantes dentaires. Le tout accompagné de personnel administratif (1 pour 2 soignants), de 20 secrétaires et de 2 standardistes. « Les soins non programmés sont une partie importante de notre activité », indique Didier Duhot, avec de nombreux patients n’ont pas trouvé de médecin traitant par ailleurs. La santé publique, l’Education thérapeutique sur le diabète, les programmes nutrition s’ajoutent aux activités de soins. Le centre de Pantin est également un Centre de Jour de diabète, où sont programmés tous les examens à réaliser pour un jour donné, le patient étant revu par un médecin avec les résultats une semaine plus tard. « La sécu nous rembourse 195 euros pour cet ensemble d’examens et la consultation du dentiste, contre 800 euros à l’hôpital. Nous supportons ainsi des frais inhérents à la qualité de la prise en charge souhaitée », note le directeur. L’intégration d’une IPA est également à l’ordre du jour, un modèle que le médecin juge non concurrentiel avec les différents professionnels de santé qui travaillent dans la même structure.

Le bilan économique découle de l’amélioration de la viabilité des centres de santé réalisée via l’accord national qui a rémunéré une partie des fonctions de coordination. « Mais c’est aussi un choix politique, ajoute Didier Duhot, par lequel nous avons décidé, pour certains actes de modérer les tarifs ». « Nous avons aussi une prise en compte partielle de la santé publique, de l’activité administrative et de coordination ». « Nous n’avons pas de souci de recrutement, confie encore le directeur. 13 internes en médecine générale ainsi  viennent se former au centre tous les six mois, ce qui constitue un vivier de recrutement pour ceux qui souhaitent intégrer le centre. Un recrutement qui est cependant plus difficile côté spécialistes, mieux rémunérés par ailleurs.
Quel est avenir pour les CDS ? Les nouveaux centres de santé qui se créent sur les territoires sont centrés sur les soins primaires et sont le fait de collectivités importantes, explique encore Didier Duhot. Ils emploient peu ou pas d’infirmières, ne développent pas d’action de santé publique et ne disposent que d’une équipe administrative restreinte, car souvent adossé à un hôpital local qui réalise la facturation. « Ils sont beaucoup plus à l’équilibre que nous ne le sommes, car ils n’assurent pas les prestations qui nous coûtent de l’argent ».

 

La table ronde :

Face aux différents modèles d’organisation de la médecine générale et des soins primaires qui cohabitent dans le champ de la santé, existe-t-il un modèle idéal ? Avant de répondre à la question, Pierre Louis Bras, ancien directeur de la Sécurité Sociale, professeur associé à Paris Descartes, a campé le paysage de la prise en charge, par les médecins, du premier recours : « Cette dernière régresse, a rappelé ce dernier. « En 2008, il y avait 4,8 actes de médecin généraliste par habitant en France. En 2017, le chiffre tombe à 3,9, dans un contexte de population vieillissante. Soit une baisse de 19 % ». « C’est une diminution majeure », a ajouté le professeur associé en rappelant que les médecins généralistes travaillent 54 heures par semaine en moyenne, dans un contexte de démographie déclinante et de hausse de la population.Cette tendance va s’accroitre sur la décennie à venir : « On finira à 3 actes et cette baisse de la prise en charge va perdurer », pronostique Louis Bras, estimant que notre pays souffre d’une baisse de temps médical généraliste. Quelles réponses apporter à cette tendance ? Par la répartition territoriale de la pénurie de médecins ? « C’est une manière de gérer la pénurie sans régler le problème ! », répond ce dernier. Certaines collectivités locales, comme le Gers, font ainsi de la surenchère pour attirer les médecins. « Cette concurrence entre collectivités est la pire des choses pour le contribuable que nous sommes ! », lance l’expert. Quelle autre attitude adopter face au manque de temps médical ? « Déléguons à l’extérieur du cabinet de médecine générale certaines tâches », suggère l’ancien directeur de la Sécu, qui rappelle que le dernier PLFSS pour 2022 avance des dispositions dans ce sens qui ne sont pas sans susciter un certain émoi, sinon une opposition certaine. Une voie qui, pour sembler « logique » et « normale », n’est cependant pas une solution en soi pour Pierre-Louis bras. « La délégation est une solution, mais elle doit se faire au sein d’une équipe, autour du médecin. La logique veut que le généraliste soit l’entraineur et le capitaine de cette équipe ! » Ce mode d’organisation en équipe s’exerce en Espagne et en Suède, où les médecins sont salariés, en Italie ou encore au Royaume-Uni, où les médecins sont des libéraux, payés à la capitation en fonction d’une liste de patients inscrits. Soit deux modèles qui ne conviennent ni à l’Assurance-maladie, ni aux médecins de l’Hexagone, même si le taux de « capitation » est passé en France, avec les forfaits signés dans la convention de 2016, à 16 % de la rémunération des médecins généralistes. « Nous avons le moyen de créer des équipes, par un tiers qui paye ces dernières : cela s’appelle ASALEE ou le système de financement des assistants médicaux. En dehors de cela, les médecins resteront payés à l’acte et peut-être la CNAM payera-t-elle un jour la possibilité de constituer des équipes. C’est cela le modèle ! ». « Il faut que les généralistes disent « oui, il faut des équipes » », conclut Pierre Louis Bras en les invitant à s’assumer : « les chefs d’équipe, ce sera vous ! »
 
Réaction de Jacques Battistoni : « Pierre Louis Bras esquisse ce qui nous préoccupe tous : la crise de l’accès aux soins. Comment gagner du temps médical ? Comment prendre plus de patients ? Il faudra regarder les solutions les unes derrière les autres, le faire avec attention. La question du mode de rémunération, de qui paye, est fondamentale ! Peut-on payer le personnel de l’équipe à partir de nos actes, ou faut-il demander à l’assurance-maladie de le payer ? Comment maintenir notre indépendance, de façon à garantir au patient la qualité des soins ? Autant de questions posées à travers ce débat. »
Que souhaitent aujourd’hui les usagers de la santé pour avoir un accès rapide au système de santé ? interroge Gérard Raymond, président de France Asso Santé. « Nous souhaitons avoir un accès rapide au système de santé et être assurés de la qualité de l’offre de soins », explique ce dernier, qui a récemment signé un manifeste pour refonder les soins primaires « pour passer de l’exercice solitaire à un exercice solidaire » (1). « L’équipe est quelque chose d’extrêmement important dans le cadre d’une réponse à une attente et à un besoin populationnel sur un territoire donné », poursuit le président. Et si une équipe nécessite un leader, un capitaine et un entraineur, « elle nécessite aussi un vrai projet médical, qui doit se construire avec l’ensemble des acteurs de l’équipe ». Toutes choses qui doivent être construites avec les populations et les associations sur le territoire. Le président de France Asso Santé considère ainsi que le concept de « médecin traitant » est quelque peu obsolète. « Je préfère parler à cet égard de l’équipe traitante », estimant que le contact avec le 1er recours pourrait se faire avec une autre personne que le seul médecin généraliste. « Nous avons là un schéma organisationnel qui pourrait répondre à cette défaillance annoncée jusqu’aux années 2030 à nos attentes et nos besoins », plaide Gérard Raymond. En particulier pour des patients sans médecin traitant et ayant recours de manière non programmée à un médecin. Les divers modes d’accès aux soins de 1er recours existant – salariat, libéral, en groupe ou isolé - offrent à ce titre des pistes intéressantes. « L’assurance-maladie doit-elle être la seule à payer ? », interroge le représentant du monde associatif des patients. « D’autres acteurs peuvent peut-être venir abonder au financement structurel de ces équipes ». « Nous sommes à un moment charnière pour créer de nouveaux modèles qui peuvent nous faire penser que notre système de santé peut s’améliorer dans la qualité, dans l’offre de soins, tout en respectant ce qui fait nos valeurs, la solidarité et la répartition », conclut Gérard Raymond. Pour ce dernier, la prévention, l’éducation à la santé la santé publique sont également des chantiers qui devront trouver leurs financements, « qui ne passeront pas forcément par l’Assurance-maladie », mais « pourquoi pas, par les Collectivités territoriales ou par les complémentaires santé ».

(1) Cf. : https://www.france-assos-sante.org/publication_document/manifeste-pour-refonder-les-soins-primaires/

Jacques Battistoni : « Le médecin traitant est un acteur important. Certaines fonctions spécifiques du MT ne peuvent pas être exercées par quelqu’un d’autre. La prise de décision médicale face à un état de santé présenté par un patient en fait partie, note le président de MG France. Cette décision médicale, lourde de conséquence, justifie pleinement que chaque Français puisse avoir accès à un médecin traitant, dans des délais et des conditions satisfaisantes. La consultation à travers une télécabine dédiée nous prive d’un certain nombre d’éléments nous assurant de la qualité de cette décision. Le médecin traitant est également garant de la qualité du parcours de soins. Ces deux caractéristiques sont certainement irremplaçables ! Cela ne peut pas être dilué dans une responsabilité collective. Il faut aussi savoir, quand on évoque la question du temps médical, de quelle équipe on parle ? Nous avons celle des maisons de santé pluriprofessionnelles, dont nous avons, à MG France, été moteur, et qui nous ont permis de gagner beaucoup à travers les réunions de concertation pluriprofessionnelles. Mais le médecin ne gagne pas de temps dans l’équipe, ni avec le pharmacien, ni avec l’infirmière. C’est très probablement avec d’autres collaborateurs, secrétaires, assistants médicaux, auxiliaires de pratique avancée. Mais notre modèle économique, pour certaines prises en charge, n’est pas forcément le plus adapté. »

« De nombreuses politiques publiques tentent d’accumuler les instruments de coopérations et de collaborations entre les acteurs de santé, qui s’empilent depuis 25 ans, note Henri Bergeron, coordinateur scientifique de la Chaire santé de Sciences Po, directeur de recherche au Centre de sociologie des organisations. Ces instruments s’empilent depuis 25 ans. « On n’arrête pas de faire en sorte qu’il y ait coopération entre les médecins, généralistes et spécialistes, entre la ville et l’hôpital, avec le médico-social, sans parler de la santé publique », confie ce dernier. Ce constat d’accumulation de dispositifs est aussi pour le directeur la traduction d’un faible investissement par l’Etat français, par la technocratie française, dans l’étude précise des dynamiques de coopération dans les organisations. Aussi invite-t-il, plutôt que de mettre en place de nouveaux dispositifs et de nouvelles technologies, d’analyser les déterminants de la coopération. « Il faut faire un inventaire systématique des modèles existants. L’interdépendance des acteurs va créer de la coopération dans un modèle relativement vertueux ! ». Ainsi, dans les MSP, si le médecin coordonnateur a certes une conception très forte de ce qu’il veut faire, il prend sur lui toute une série d’activités dont les autres médecins ne veulent pas, et il va rapidement s’épuiser. « Ce modèle signe une absence de réflexion pour rendre la coopération plus pérenne, et pas simplement dépendante d’une personne qui va jouer la variable d’ajustement ».
« Il est vraiment temps de commencer à travailler sur les éléments qui permettent d’induire cette action collective, cette coopération. L’incitation économique est un de ses déterminants, mais pas le seul », ajoute le directeur, qui conclut en reprenant des propos tenus par ailleurs : « On nous apprend d’être des acteurs de santé et pas d’être des acteurs en santé ». Car beaucoup est demandé aux professionnels de santé, sans qu’ils soient réellement en mesure de comprendre la complexité du paysage sanitaire dans lequel ils agissent. « Il faut réhabiliter la question du management et de la coopération », souligne encore Henri Bergeron. Mais il faut aussi lui accorder une importance économique à la hauteur des enjeux.

 


Les choses vont-elles bouger avec la future Convention qui sera négociée en 2022 entre l’Assurance-maladie et les syndicats de médecins ? interroge Jean-Louis Bensoussan. « Ces travaux s’inscrivent dans le début d’une phase de préparation d’une future convention que nous allons effectivement avoir à négocier avec les syndicats médicaux », a indiqué Thomas Fatôme, directeur général de la CNAM. Parmi les priorités figure la volonté des parties prenantes de dégager du temps médical disponible pour faciliter l’accès aux soins. « Différents leviers sont mobilisés à cet effet : assistant médical, évolution des tâches, soutien aux équipes. Nous proposons des outils différents, car les envies des uns et des autres de s’organiser ne sont pas les mêmes », précise le directeur général, excluant d’imposer un seul modèle aux professionnels en les priant d’y souscrire.

Face aux défis de l’heure, les médecins veulent-ils choisir de préparer les nouveaux modes d’organisations ou continueront-ils à subir la pression politique de parlementaires qui cherchent des réponses sur leur territoire pour l’accès aux soins des patients ? « Je pense que la logique conventionnelle est aussi un moment par lequel les médecins peuvent choisir et non subir », répond Thomas Fâtome. « C’est possible et même souhaitable ». Pour le directeur de la CNAM, la question des équipes est bien au cœur des débats. « Nous sommes très attachés à la notion de médecin traitant, qui s’est inscrite dans la durée, et nous sommes favorables à son maintien. En même temps, je suis assez à l’aise avec la notion l’équipe traitante, ajoute le directeur. Mais elle pose pas mal de questions dont comment la rémunère-t-on ? » Des réponses peuvent être apportées par des logiques de type salariat, mais sont-elles acceptées ? Distribuer une rémunération entre différents professionnels de santé libéraux n’est pas davantage aisé : « On voit que c’est extrêmement délicat ! » Thomas Fâtome évoque dans ce registre des voies intermédiaires, telles les rémunérations de la MSP ou de la concertation en MSP. « Derrière tout cela se pose la question du modèle de rémunération. Est-ce que les professionnels de santé sont prêts à faire bouger un certain nombre de lignes ? Sommes-nous prêts à aller plus loin dans ces modèles d’organisations qui permettent d’exercer différemment, avec des rémunérations sans doute différentes ? Nous sommes prêts à ouvrir cette réflexion avant le démarrage des négociations, pour aider à l’évolution des organisations et à la délégation des tâches ? », ajoute le directeur général. Sans apporter de réponses, il invite ses partenaires conventionnels à en tirer les conséquences en termes de modèles économiques à défaut de subir une pression politique de plus en plus forte, manifeste après chaque PLFSS. « Nous avons intérêt à y apporter une réponse collective », prévient ce dernier.

Jacques Battistoni. « Effectivement, nous avons mal vécu le PLFSS de cette année, commente le président de MG France. On a pris des décisions sans concertations. Nous devons trouver des moyens de passer des accords entre professions qui aillent au-delà des simples accords sur les MSP ou sur les CPTS. La Convention est l’outil de la définition de nos métiers, de l’évolution de nos professions, beaucoup plus que la loi, qui ne devrait pas accaparer de ce qui n’est pas de son ressort. Devant nous se situe une campagne électorale et plus en avant une future convention. La pire des choses serait d’engager une négociation conventionnelle sans avoir d’objectifs précis. Et notre objectif aujourd’hui est d’améliorer l’accès aux soins en donnant aux médecins traitants les moyens d’exercer pleinement leurs missions. Je souligne enfin que l’équipe du médecin traitant, ce sont d’abord ses collaborateurs, ceux qui lui permettent d’accomplir son métier. »

 


En conclusion à cette rencontre au ministère de la Santé, le président de MG France a fait savoir que ce colloque constituait bien une étape en vue de la prochaine convention médicale, avec sur le chemin les élections présidentielles et le congrès de MG France, qui se tiendra au printemps prochain à Dijon. « Les médecins généralistes ont besoin d’être rassurés, a rappelé Jacques Battistoni au ministre de la Santé. Les délégations de tâches annoncées ont créé un trouble profond dans la profession, avec une inquiétude sourde et récurrente sur le fait que la volonté des Pouvoirs publics serait de se passer des médecins. Ils s’interrogent sur ce que la Nation attend d’eux, à savoir si l’on a encore envie de voir un système de santé fondé sur les médecins généralistes ? Ils sont d’autant plus inquiets que depuis des années rien ne se fait, rien ne se passe pour leur permettre de travailler dans de meilleures conditions. La crise sanitaire a bien montré la faiblesse de nos organisations, à nous médecins généralistes. Nous n’avons pas pu relever le défi de cette crise autant que nous l’aurions voulu. Nous allons être très présents dans la campagne électorale. Nous allons demander aux candidats de donner à l’assurance-maladie un mandat pour négocier avec nous pour faire en sorte que nous puissions bénéficier de cet environnement professionnel qui nous est nécessaire. Car être attractif, c’est travailler avec les moyens du 21è siècle. »

 

L’intégralité de la conférence est visible sur : https://www.NotAllowedScript660603af45565youtube.com/watch?v=Zkrmcza-PJI

 

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